Ce que l’art m’a appris : 10 ans à Giron d’art
Discours de clôture – Virginie Papin
2 novembre 2024 – Galerie Giron d’art
Version résumée et structurée du discours prononcé par Virginie Papin, très émue, le samedi 2 novembre 2024, lors de la clôture officielle de la galerie associative Giron d’art, devant près de 50 personnes.
Une voix, enfin
Merci d’être présents. Ce n’est pas souvent que je choisis de prendre la parole, sauf pour mettre en lumière les artistes que j’aime profondément. Mais aujourd’hui, je vais parler de moi. J’ai des choses à dire… mais rassurez-vous : vous serez récompensés après, promis !
Une voix pour les artistes
Je vais vous parler de mon histoire. Celle d’une amoureuse inconditionnelle des arts et des artistes, de leur courage à se dévoiler, à livrer leurs failles, leurs blessures, leur lumière. Celle qui a fait un rêve et le vœu de les soutenir.
Savez-vous qu’au-delà de leur travail qui vous régale, 90 % des artistes en France vivent sous le seuil de pauvreté ou au RSA ?
Qu’ils créent parce qu’ils n’ont pas le choix, parce que c’est vital ?
L’art n’est pas un loisir. Ce n’est pas un caprice. Ce n’est pas une fuite. C’est une nécessité existentielle. Cela occupe tout leur temps. Ce n’est pas être un assisté de la société non plus, être artiste c’est une Vie presque pas un choix.
Et moi, j’ai voulu être le témoin de ça. Leur porte-voix. Leur espace.
Une galerie, une vie
Pourquoi ? Parce qu’être galeriste, ce n’est pas qu’un acte marchand. C’est :
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Ouvrir son lieu de vie à des milliers de visiteurs
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Penser chaque exposition avec les artistes, sa cohérence, son propos, allier des artistes qui n’y pensaient pas parfois, prendre le risque de déplaire aussi.
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Organiser la communication, la diffusion, créer le site, faire les vidéos, les photos
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Ecrire les textes de mise en valeur des artistes au travers de texte personnalisé, faire les mailings, des heures de présence sur les réseaux
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Rédiger des contrats avec les artistes, les fiches de dépôt pour assurer les œuvres et de la tarification des œuvres
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Transporter parfois, accrocher, éclairer et décrocher des œuvres : parfois cela peut prendre beaucoup de temps pour parvenir à un résultat satisfaisant !
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Préparer les vernissages, assurer l’accueil, la médiation pour que chaque visiteur puisse entrer dans l’univers de l’artiste
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Faire la comptabilité, les déclarations Urssaf, préparer les assemblées générales de l’association
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Entretenir et investir pour que le lieu d’exposition soit digne de ce nom, aux normes, accessible, accueillant et permette la mise en lumière de chaque artiste !
Et parfois… faire tout ça en trottinette, avec mon fils.
Chaque exposition a transformé le lieu. Les artistes l’ont littéralement habité, l’ont investi goulûment et ils m’ont régalée aussi puisque je vivais au milieu d’eux. Ce n’est pas banal, vous en conviendrez.
Un territoire, des combats
Être galeriste ici, c’est aussi :
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Cultiver le lien avec les commerçants (merci à Nathalie qui m’a habillée de la tête aux pieds, et à Pascale qui m’a soignée si délicatement)
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Participer aux autres évènements culturels pour cultiver le réseau
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Aller à la rencontre des artistes, les visiter dans leurs ateliers
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Être pionnière, faute d’autres lieux d’exposition dans le Couserans
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Écouter les visiteurs bouleversés, devenant parfois confidente, presque… une chapelle de confession
C’est organiser des concerts, des pièces de théâtre, des repas exotiques, accueillir l’école de musique du Couserans… avec un enfant de 4 ans, devenu aujourd’hui un jeune homme de presque 15 ans.
J’ai donné tout mon temps libre à VOUS.
De la science à l’art
Je suis docteure en physique chimie des polymères. J’ai été 20 ans directrice industrielle, à diriger plus de 100 personnes.
Puis j’ai décidé de tout quitter en créant ce lieu, en mettant de côté ma carrière professionnelle.
J’ai ouvert ce lieu à mes frais, sans aucune subvention, en me mettant en 4/5e, travaillant entre Paris et Saint-Girons, préparant les expositions la nuit, dans les trains, dans les hôtels… pendant que mon fils dormait.
Pourquoi ?
Parce que l'art est essentiel pour conserver notre libre arbitre, nous interroger et conserver notre humanité. L'art, c'est le terrorisme de notre siècle, celui qui critique le monde, le pas de côté indispensable à notre raison pour donner du sens à nos vies.
C'est la respiration du monde. C'est une forme de résistance. Et c'est ce ui m'a donnée un sens.
Un engagement total
Non, je n’ai jamais choisi la facilité. j’ai même bousculé bon nombre d’entre vous en vous présentant des artistes engagés, expressionnistes, atypiques, peintres, photographes, graveurs, sculpteurs, dessinateurs, toujours dans une démarche forte et vraie… jamais lisses.
Je n’ai jamais loué mes murs, ni fait payer les artistes.
Je n’ai jamais exposé ce qui était « attendu », « consensuel », « vendeur » sur un territoire enclavé.
J’ai préféré l’art qui dérange. Qui vous prend aux tripes. Qui interroge, surprend, dénonce. Celui à priori qu’on ne voudrait pas chez soi et pourtant mes murs sont couverts de tableaux et sculptures aussi fortes les unes que les autres qui me tiennent debout même quand j’étais allongée pendant presque 2 ans.
Des expositions en résistance
J’ai porté des expositions dans des contextes tendus, voire dangereux :
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“Ainsi soient-elles” pendant l’effacement des femmes
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“Essentiel” pendant le confinement
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“Gaza 2001” alors que les bombes tombaient
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“Il ne restera de nous quelques traces… EN CORPS”, à la veille des élections législatives
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“Le chant de la Terre”, en soutien à un défenseur des baleines emprisonné injustement
Je suis fatiguée de devoir me battre pour faire exister un lieu libre.
Je suis épuisée de devoir me justifier, de devoir convaincre de l’importance d’une galerie indépendante qui prend des risques d’expositions en plein tumulte sociétal.
Et je suis triste que ce territoire ne m’ait pas suffisamment soutenue pour continuer.
La fréquentation de Saint Girons est alarmante depuis 2020, le tourisme n’est pas suffisamment diversifié, concentré sur les activités de montagne et les festivités traditionnelles uniquement sur la période estivale. La population est vieillissante et les commerçants en souffrent. L’attractivité d’une ville est conditionnée par ses propositions culturelles pour diversifier sa fréquentation et attirer de nouveaux habitants.
La galerie … une chapelle
L’art ne doit pas devenir gratuit.
Les artistes doivent être rémunérés pour leur travail, leur droit de représentation, leur apport à l’attractivité d’un territoire. Ne pas reconnaître leur travail serait accentuer leur précarité ou finir par tuer l’art ou leur liberté artistique en leur imposant des thèmes pour être exposé.
Acheter une œuvre, c’est un acte d’amour. C’est soutenir un écosystème fragile, un galeriste, un artiste, une vision du monde. Nous avons été complémentaires et prenions des risques partagés, sans argent public. La galerie Giron d’art était immatriculée à l’URSSAF Diffuseur d’art / Commerçant d’art et à la SACEM et permettait légalement de construire la côte de l’artiste.
En 10 ans, j’ai :
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Organisé 36 expositions, 25 événements artistiques
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Soutenu 47 artistes vivants
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Accueilli plus de 15 000 visiteurs avec la même joie, la même sincérité pour vous présenter les artistes qui avaient touchés mon cœur et mon âme.
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Consacré 12 000 heures bénévoles et plus de 12 000 euros personnels au service d’un territoire.
Je n’ai jamais cessé d’y croire. Même quand on me disait que j’étais folle. J’ai adoré faire ce métier en espérant avoir semé quelques graines dans certains esprits néophytes et ravis beaucoup d’entre vous. J’appelais ce lieu « mon église » ...
Le Giron d’art a été un lieu de rencontres humaines, un espace de confidences, un lieu d’hospitalité, de beauté et de vérité.
L’origine de ce rêve
Ce rêve est né d’une promesse faite à ma meilleure amie, peintre, talentueuse, aigrie, mourante, qui clamait que tous les galeristes étaient des voleurs.
Je suis devenue galeriste pour lui prouver le contraire et que je contribuerai plutôt à les voir grandir.
Et aussi pour toi, Laurent.
Aujourd’hui, je suis fière de dire que j’ai réussi mon engagement totalement bénévolement et que j’ai été une mécène, une collectionneuse, une passeuse, une femme libre. Et je suis fière aussi d’avoir été une galerie paritaire qui a représentée autant d’hommes que de femmes. En France, la représentation des femmes artistes plasticiennes est inférieure à 20%.
L’heure du passage
Je dois maintenant prendre soin de moi.
Je suis devenue artiste photographe professionnelle, et je veux me consacrer à mon propre art, à mon fils, à ma santé.
Ce lieu m’appartient. Il devient mon atelier.
Et j’y inviterai, si le cœur m’en dit, mes ami·es véritables. Celles et ceux qui ont été là dans mes fragilités.
Merci
Merci aux artistes incroyables que j’ai exposés, accompagnés, portés. Ce fut un immense honneur de vous représenter tous, vraiment et de vous avoir rencontrés aussi !
Merci aux amis, visiteurs, musiciens, comédiens, commerçants, journalistes qui ont fait vivre ce lieu.
Merci à mon fils Augustin qui a grandi dans l’art et a fini par aimer mon rêve en faisant des études d’art, à Laurent son père, président de l’association, qui m’a toujours soutenue de tellement de manières, même s’il m’a souvent reproché d’y consacrer tout mon temps au détriment de notre couple, pour que ce rêve existe, pardon et à tous les bénévoles de l’ombre : Alain, Caroline, Margot, Pascal, Laurent, Bruno Wagner et tant d’autres, mais présents dans l’accomplissement de ce rêve.
Merci aux artmirateurs, aux acheteurs fidèles (je pense à François et Hélène…). Vous avez fait exister ce rêve.
J'ai conscience d'avoir vécu une aventure magique avec Vous, chers artistes, vous m'avez comblée, vous avez enchanté mon coeur, embelli une magnifique tranche de ma vie et Vous, les visisteurs les plus assidus pour vos confidences, promis, je resterai une tombe. Un immense MERCI !
Je sors grandie d'une expérience totalement incroyable où j'ai appris, ressenti, touché chaque instant avec délice.
Et je suis tellement heureuse de finir cette aventure entourée de ma grande amie Tania et Ekin avec le chant de la Terre qui nous porte et Paamath, le dernier arrivé, qui a été sensible, lui aussi à la magie de ce lieu pour la clôturer.
Une dernière lumière
Oui, je suis déchirée de devoir fermer ce lieu. Mais une nouvelle aventure commence. La mienne.
Je veux maintenant devenir la priorité de ma vie, de mon art.
Comme le disait Jean Tinguely à Niki :
« C’est si bon d’avoir mal. La ruine est un cadeau. La ruine, c’est la voie de la transformation. »
Alors, célébrons. Chantons. Buvons. L’art est joie. L’art est vie.
Et maintenant…
Merci à Paamath, magicien à la voix d’or, d’accompagner cette finitude joyeuse.
Écoutez. Ressentez. Et laissez-vous porter.
Je m’appelle Virginie Papin.
Et comme les étoiles brillent toujours une dernière fois avant de s’éteindre…
brillons ensemble, une dernière fois.